Faure Gnassingbé veut-il tourner le dos à la France ?
La visite officielle de Faure Essozimna Gnassingbé à Moscou, du 18 au 20 novembre 2025, suscite bon nombre d’interrogations. À l’invitation de Vladimir Poutine, le président du Conseil togolais doit rencontrer le dirigeant russe en tête-à-tête au Kremlin le 19 novembre pour discuter d’un « renforcement » de la coopération bilatérale. Mais derrière l’agenda diplomatique affiché — économie, agriculture, énergie, formation, sécurité alimentaire — se profile une question politique plus lourde : s’agit-il d’un virage stratégique de Lomé, qui tournerait le dos à la France ?
Un rapprochement stratégique avec la Russie
Selon le communiqué officiel de la présidence togolaise, cette visite s’inscrit dans « la continuité des consultations menées ces derniers mois avec plusieurs partenaires internationaux ».
L’agenda du face-à-face avec Poutine est ambitieux : diplomatie, commerce, énergie, formation, sécurité alimentaire… Plus notable encore, sur le plan sécuritaire, un accord-cadre de coopération militaire a été ratifié en octobre 2025 : exercices conjoints, formation, échanges de renseignement, assistance médicale d’urgence. Par ailleurs, la Russie attribue de plus en plus de bourses aux étudiants togolais : 86 bourses pour l’année académique 2024-2025, contre une dizaine seulement quelques années plus tôt, selon Togo First.
Le Togo veut donc diversifier ses partenariats, et la Russie lui offre un terrain d’entente dans des secteurs stratégiques.
Des tensions croissantes avec la France ?
Ce rapprochement ne peut être dissocié d’un contexte de tensions perceptibles entre Lomé et Paris. Plusieurs signes pointent vers une redéfinition des priorités diplomatiques togolaises.
D’abord, les relations économiques entre le Togo et la France, bien que solides, montrent des limites. Selon le ministère français des Affaires étrangères, la France reste un partenaire important, notamment via l’aide au développement (avec des projets d’électrification, d’assainissement, de santé), mais les échanges commerciaux sont vulnérables.
Ensuite, la perception des Togolais vis-à-vis de l’influence française est très nuancée. Un sondage Afrobarometer révèle que plus de la moitié des citoyens togolais perçoivent l’influence de la France comme négative. Cette défiance populaire peut nourrir une posture diplomatique plus indépendante du pouvoir togolais.
Sur le plan médiatique, le gouffre se creuse : en juin 2025, Lomé a suspendu les diffusions de RFI et France 24 pendant trois mois, accusant ces médias d’un manque d’impartialité et d’une diffusion d’informations pouvant « nuire aux institutions républicaines » du Togo. Ce geste fort est un signal clair au monde : le Togo peut se détourner si les intérêts ne sont plus alignés.
Enfin, la coopération sécuritaire entre la France et le Togo semble s’effriter. Le Monde rapporte un ralentissement de l’aide militaire française — Paris affirme attendre des demandes plus claires de Lomé, tandis que certains officiels français estiment que le Togo « ne veut plus coopérer comme auparavant ».
Un choix de non-alignement ou un pari risqué ?
La visite à Moscou pourrait être interprétée comme un pari pragmatique. Le Togo, petit pays d’Afrique de l’Ouest, n’a pas intérêt à dépendre d’un seul partenaire. En multipliant ses alliances — et notamment en renforçant ses liens avec la Russie — Gnassingbé pourrait se donner plus de marge de manœuvre diplomatique et stratégique. Cette diversification lui offre potentiellement un meilleur levier de négociation, face à des puissances majeures comme la France.
Mais ce virage n’est pas sans risques. S’éloigner de la France, ancienne puissance coloniale mais toujours présente, peut coûter cher diplomatiquement. Le désengagement partiel de l’Hexagone pourrait affecter l’aide, les investissements, et même la coopération institutionnelle. Par ailleurs, la montée en puissance de la Russie en Afrique suscite des inquiétudes internationales : certains y voient une remise en cause de l’influence traditionnelle des pays occidentaux sur le continent.
Quel message pour la France ?
La question est donc posée : cette visite à Moscou envoie-t-elle un message clair à Paris ? Il semble que oui. En choisissant de consacrer sa diplomatie à un rapprochement avec Moscou, Gnassingbé envoie un signal politique — non pas forcément d’hostilité, mais de rééquilibrage.
Loin d’une rupture brutale, cela pourrait être une redéfinition des priorités dans un monde multipolaire. Le Togo, sous la présidence du Conseil de Gnassingbé, semble vouloir s’assurer qu’il ne soit pas dépendant d’un seul acteur international — même si cet acteur est la France, avec laquelle il entretient des liens historiques profonds.
Faure Gnassingbé ne tourne peut-être pas complètement le dos à la France, mais il redessine sans doute sa diplomatie. En s’ouvrant à la Russie, il joue une carte de flexibilité : affirmer son autonomie, diversifier ses partenariats, multiplier les options stratégiques. Pour Paris, c’est un avertissement : l’influence traditionnelle n’est plus assurée, et le Togo pourrait désormais regarder ailleurs.
Ce tête-à-tête au Kremlin n’est pas seulement une visite diplomatique : il symbolise la nouvelle donne géopolitique sur le continent — un Togo qui veut peser, exister, et choisir ses alliances au-delà des héritages coloniaux.
Oladélé
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