Le cas SODJINOU ou les dérives d’un parrainage sans garde-fou
Depuis quelques semaines, le Bénin vit au rythme d’un débat passionné autour d’un seul homme : Michel SODJINOU, député élu sur la liste du parti Les Démocrates (LD), qui a refusé de parrainer le duo présidentiel investi par sa propre formation politique. Ce refus, en apparence banal, a pourtant des conséquences d’une portée historique : il menace la participation du seul grand parti d’opposition à la présidentielle de 2026. Mais au-delà du cas individuel, c’est toute la philosophie du parrainage politique au Bénin qu’il faut interroger.
Quand la loi consacre la liberté, mais oublie la loyauté
Le Code électoral, dans sa version révisée en 2024, stipule qu’un député ou un maire peut
accorder son parrainage en toute liberté au duo de son choix.
Rien n’oblige donc un élu à soutenir le candidat de son parti.
Sur le papier, cette disposition traduit une forme de démocratie mature : chaque élu agit
selon sa conscience.
Mais dans la réalité béninoise, elle révèle un vide éthique majeur.
Car un député n’est pas un électron libre : il est élu sous une bannière politique, au nom
d’un programme, et par la confiance d’un électorat collectif.
Lorsqu’un député comme Michel SODJINOU s’oppose à la ligne du parti qui l’a porté au
Parlement, il trahit cette délégation de confiance.
La démocratie repose sur la représentation. Or, quand la représentation devient individuelle
et capricieuse, elle cesse d’être démocratique.
« On ne peut pas être élu au nom d’un peuple et agir ensuite contre l’espérance de ce même
peuple. »
Le principe du parrainage visait à filtrer les candidatures fantaisistes.
Mais dans le contexte béninois, il s’est transformé en outil de verrouillage politique.
Quelques chiffres suffisent à comprendre le déséquilibre :
• 181 députés et 77 maires sont les seuls parrains disponibles.
• Plus de 90 % d’entre eux appartiennent à la mouvance présidentielle.
• L’opposition, représentée uniquement par Les Démocrates, ne dispose que de 28
députés.
Résultat : le pouvoir détient le contrôle implicite du droit de concourir. Et dans un tel
contexte, la liberté du parrain devient un luxe dangereux. Elle ouvre la voie à la pression
politique, au marchandage, voire à la corruption.
Le cas SODJINOU illustre parfaitement cette dérive :
un député élu grâce au peuple de l’opposition, qui se positionne, volontairement ou non, en
obstacle stratégique à la candidature de son propre parti.
Un seul homme, une signature, et c’est tout un camp politique qui se retrouve au bord de
l’exclusion.
Ce qui choque aujourd’hui, ce n’est pas seulement la décision d’un élu, mais le déséquilibre
institutionnel qu’elle révèle. Le système électoral béninois a créé une situation absurde :
un élu minoritaire peut neutraliser la volonté collective de millions de citoyens.
Certes, la loi protège son droit individuel. Mais la question fondamentale est ailleurs :
faut-il protéger la liberté d’un individu, ou la légitimité d’un peuple ?
Le droit, lorsqu’il oublie le bon sens politique, devient un instrument de domination.
Le parrainage, dans sa forme actuelle, n’est plus un outil de démocratie : c’est un filtre de
pouvoir. Il donne à quelques élus un poids démesuré, au détriment de l’intérêt général.
Certains argueront que M. SODJINOU n’a fait qu’user d’un droit reconnu par la loi. C’est
exact. Mais ce que la loi autorise n’est pas toujours ce que la morale républicaine justifie.
Être député, c’est servir le peuple, pas servir soi-même.
Être démocrate, c’est défendre la pluralité, pas étouffer la voix de son camp.
Et dans un contexte où les oppositions ont déjà été affaiblies par les mécanismes
administratifs, choisir de se ranger du côté du blocage, c’est participer consciemment ou
non à l’étouffement du pluralisme politique.
L’affaire SODJINOU doit être un électrochoc républicain.
Il faut d’urgence repenser le dispositif de parrainage autour de trois principes simples :
1. Le respect de la discipline partisane, pour éviter les trahisons individuelles.
2. La transparence du processus, pour prévenir les manipulations.
3. La responsabilité démocratique, afin que le parrainage serve le peuple, pas les
intérêts partisans.
Le Bénin a bâti sa réputation sur la qualité de sa démocratie. Mais aujourd’hui, le risque est
réel de voir cette démocratie devenir une façade légale au service d’un système
verrouillé. Le cas SODJINOU dépasse un simple désaccord interne. Il met à nu la fragilité
morale de nos institutions et le besoin urgent de refonder le lien entre éthique et
politique. Car, au fond, ce n’est pas de SODJINOU qu’il s’agit, mais de l’idée que nous
nous faisons de la démocratie.
« La force d’un État ne se mesure pas à la soumission de ses élus, mais à leur fidélité au
peuple. »
Si un seul homme peut briser l’espérance de tout un électorat, alors le problème n’est pas
dans les individus, mais dans la loi elle-même.
Et si cette loi ne protège plus la volonté du peuple, alors c’est à la République de la corriger.
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