Tribune : le parrainage en question
Les événements qui suscitent aujourd’hui un vif débat au sein de la communauté juridique et politique nationale ont débuté par un acte en apparence banal, mais aux conséquences lourdes pour l’ordre constitutionnel.
Quand le droit électoral est mis à l’épreuve des juridictions ordinaires
I. Les faits
Les événements qui suscitent aujourd’hui un vif débat au sein de la communauté juridique et politique nationale ont débuté par un acte en apparence banal, mais aux conséquences lourdes pour l’ordre constitutionnel.
Un élu, dûment mandaté pour parrainer un candidat à l’élection présidentielle, a d’abord remis sa fiche de parrainage à son chef de parti, conformément à la discipline interne et à la procédure concertée établie par sa formation politique.
Avant même que cette fiche ne soit transmise à la Commission électorale nationale autonome (CENA), l’élu a, par voie d’huissier, manifesté son intention de révoquer son parrainage.
Estimant que son geste de retrait était fondé, il a ensuite saisi un tribunal de première instance, sollicitant l’annulation pure et simple de la fiche remise à son parti.
Contre toute attente, le tribunal ordinaire a rendu une décision ordonnant à la CENA d’annuler la fiche concernée et d’en délivrer une nouvelle au profit de l’élu.
Saisi en appel, le parti politique a soulevé l’incompétence du tribunal à statuer sur une question relevant, selon lui, du domaine constitutionnel et électoral.
Mais la cour d’appel, au lieu de rectifier cette violation manifeste de la hiérarchie des normes, a confirmé la décision du tribunal de première instance.
Face à cette situation inédite, le parti a décidé, en ultime recours, de porter l’affaire devant la Cour constitutionnelle.
Problème : le délai de dépôt des candidatures étant écoulé depuis 72 heures, la question ne se pose plus seulement en termes de droit, mais aussi de conséquences politiques et institutionnelles.
II. Les questions juridiques en jeu
Trois questions majeures émergent de cette affaire :
1. Un tribunal ordinaire peut-il connaître d’un litige portant sur un acte de parrainage électoral ?
2. La révocation d’un parrainage avant son dépôt à la CENA produit-elle des effets juridiques ?
3. Quelles sont les conséquences d’une telle ingérence judiciaire sur le processus électoral et la sécurité juridique ?
III. Analyse de droit
Sur la compétence des juridictions ordinaires
Le parrainage présidentiel est une exigence constitutionnelle, introduite par la révision de 2019 (article 44 nouveau de la Constitution).
Il ne s’agit pas d’un acte administratif ou civil, mais d’un acte électoral, inscrit dans le processus de validation des candidatures, sous le contrôle exclusif de la Cour constitutionnelle.
Aux termes de l’article 117 de la Constitution :
« La Cour constitutionnelle veille à la régularité du scrutin présidentiel, législatif et référendaire et statue sur les contestations y relatives. »
Dès lors, toute décision rendue par une juridiction ordinaire portant sur la validité, la révocation ou l’annulation d’un parrainage constitue une immixtion inconstitutionnelle dans les compétences de la Cour constitutionnelle.
Le tribunal et la cour d’appel se sont donc manifestement déclarés compétents à tort, violant le principe de la séparation des pouvoirs et celui de la hiérarchie des normes juridiques.
Sur la nature et la révocabilité du parrainage avant son dépôt
L’argument de la défense repose sur un fait : la fiche n’avait pas encore été transmise à la CENA au moment de la révocation.
Mais juridiquement, dès lors qu’un élu remet sa fiche à son parti dans le cadre d’un processus politique structuré, il exprime son consentement politique au parrainage.
Cet acte devient parfait et engageant, même si la formalité administrative du dépôt n’est pas encore accomplie.
La Cour constitutionnelle, dans ses décisions antérieures (notamment DCC 21-001 du 7 janvier 2021), a clairement établi que le parrainage est un acte personnel, libre et irrévocable dès qu’il est matérialisé.
Autrement dit, le parrainage ne peut pas être retiré à volonté, sans compromettre la stabilité et la sincérité du processus électoral.
Sur les conséquences institutionnelles
L’exécution d’une telle décision judiciaire crée une insécurité juridique et ouvre la porte à des manœuvres politiques susceptibles de désorganiser la CENA et de compromettre la régularité du scrutin.
Elle introduit une confusion entre acte électoral et acte civil, alors même que la jurisprudence constitutionnelle béninoise a toujours veillé à préserver l’autonomie du droit électoral.
En outre, la confirmation en appel aggrave la situation, car elle institue un dangereux précédent : celui où un juge ordinaire peut, en pleine période électorale, ordonner la modification d’un acte électoral pourtant encadré par la Constitution.
IV. Ce qu’on peut attendre de la Cour constitutionnelle
En tant que gardienne de la Constitution, la Cour constitutionnelle devrait logiquement :
1. Se déclarer compétente pour connaître du recours introduit par le parti ;
2. Constater l’incompétence des juridictions ordinaires à statuer sur un acte de parrainage ;
3. Annuler les décisions rendues par le tribunal et la cour d’appel pour violation de la Constitution ;
4. Rappeler la nature électorale, personnelle et irrévocable du parrainage, même avant dépôt à la CENA dès lors qu’il est valablement exprimé ;
5. Enfin, garantir la stabilité du processus électoral, même si le délai des candidatures est expiré, en précisant que cette expiration n’efface pas les violations commises contre le texte fondamental.
V. En conclusion
Cette affaire dépasse le simple cadre d’un différend partisan : elle met en lumière les tensions entre juridictions ordinaires et juridiction constitutionnelle, et rappelle que nul juge, fût-il de bonne foi, ne peut s’arroger le contrôle d’un acte électoral sans violer la Constitution.
Le parrainage est un engagement républicain, non une signature civile.
Le jour où chaque élu pourra révoquer son parrainage à volonté, ou par simple voie d’huissier, le processus électoral cessera d’être une institution du droit pour devenir un terrain d’improvisation.
La Cour constitutionnelle est donc attendue comme le dernier rempart de la légalité républicaine.
Sa décision, au-delà du cas d’espèce, déterminera si le parrainage demeure un instrument de stabilité politique ou s’il deviendra un outil de chantage électoral entre les mains des uns et des autres.
Dénis I IDOHOU
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