Madagascar : l’île rouge au bord de la rupture — entre colère populaire et vacillement du pouvoir
Madagascar traverse l’une des crises les plus explosives de son histoire récente. Ce qui n’était au départ qu’un mouvement de protestation contre les coupures d’électricité et d’eau s’est transformé en une véritable insurrection populaire. En toile de fond : une défiance totale envers un pouvoir accusé d’inefficacité, de mépris social et de dérive autoritaire. L’armée s’en mêle, le président vacille, et le monde retient son souffle.
Reportage et analyse – News Africa
Des coupures d’électricité à la coupure de confiance
Pendant des semaines, la capitale malgache, Antananarivo, a vécu dans la pénombre. Les délestages devenus quotidiens ont paralysé l’économie et rendu la vie insupportable pour des millions de familles.
Mais au-delà des coupures, c’est tout un système qui semble à bout de souffle.
« On ne peut plus vivre dans le noir pendant que nos dirigeants brillent dans les salons », confie Lalao, une vendeuse du marché d’Analakely, la voix brisée par la fatigue.
Dans ce pays de 30 millions d’habitants, où plus des deux tiers de la population vivent sous le seuil de pauvreté, la moindre étincelle peut embraser la rue. Et cette fois, l’étincelle s’est transformée en incendie.
Le soulèvement d’un peuple épuisé
À partir de la dernière semaine de septembre 2025, des milliers de Malgaches ont défilé dans les rues d’Antananarivo, Mahajanga, Toamasina et Fianarantsoa.
Les slogans, simples et puissants : “Asa ho an’ny tanora !” (“Du travail pour les jeunes !”), “Rano sy jiro !” (“De l’eau et de la lumière !”).
La contestation, d’abord pacifique, a rapidement dégénéré. Barricades, incendies de bâtiments publics, affrontements avec la police : la répression est brutale.
Selon un rapport de l’ONU, au moins 22 morts et plus de 300 blessés ont été recensés en trois semaines.
Le gouvernement tente de reprendre la main en instaurant un couvre-feu national, mais la colère populaire a déjà franchi le point de non-retour.
Quand l’armée se retourne contre le pouvoir
C’est le 10 octobre 2025 que tout bascule.
Une unité d’élite, la CAPSAT, publie un communiqué spectaculaire : elle refuse désormais d’obéir aux ordres du gouvernement et se dit prête à “protéger le peuple contre toute répression injuste”.
Quelques heures plus tard, des militaires rejoignent les cortèges de manifestants.
Le président Andry Rajoelina, dans une allocution télévisée, dénonce une “tentative de prise de pouvoir illégale” et évoque un coup d’État en cours.
Mais le vent a tourné. Les forces de sécurité se divisent, des gouverneurs régionaux prennent leurs distances, et la présidence semble s’effriter.
Le 14 octobre, un décret du nouveau pouvoir militaire retire la nationalité malgache à Rajoelina, invoquant sa double nationalité française — un coup fatal à son autorité.
Madagascar se retrouve alors dans un vide institutionnel inédit : plus de gouvernement, plus de président, et une armée qui prétend “assurer la transition”.
Le monde regarde, impuissant
Face à cette crise fulgurante, la communauté internationale adopte un ton prudent.
L’Union africaine et la SADC appellent au retour à l’ordre constitutionnel, tandis que l’ONU exprime sa “profonde inquiétude” face aux violences et à l’instabilité.
Mais sur place, la réalité est plus crue : les supermarchés ferment, les prix flambent, les transports sont paralysés, et les hôpitaux manquent d’électricité pour faire fonctionner les appareils de réanimation.
Dans le sud, déjà frappé par la sécheresse, plus de deux millions de personnes sont menacées par la faim, selon le Programme alimentaire mondial.
Pour beaucoup, Madagascar est au bord d’un effondrement humanitaire.
Le cri d’une jeunesse en quête de dignité
Au milieu du chaos, une génération tente de sauver ce qui peut l’être.
Des collectifs citoyens, des journalistes indépendants et des leaders de jeunesse appellent à un dialogue national inclusif.
Leur mot d’ordre : refonder la République sur la justice, la transparence et la dignité.
“Ce pays appartient à ceux qui y souffrent, pas à ceux qui l’exploitent”, déclare Hanitra, une étudiante de 22 ans, rencontrée sur la place du 13 Mai.
Pour elle comme pour beaucoup, le combat dépasse la politique : c’est une lutte pour la survie d’une nation.
Entre ombre et lumière : l’avenir incertain de l’île rouge
Madagascar, terre d’une beauté rare, d’une biodiversité unique et d’un peuple profondément résilient, se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins.
L’île rouge, longtemps symbole d’espoir et de renaissance, vacille entre chaos et renouveau.
La fin du règne Rajoelina marque sans doute la fin d’une époque.
Mais la question demeure : qui écrira la suivante ?
Un pouvoir militaire en quête de légitimité ?
Une transition démocratique incertaine ?
Ou le réveil d’un peuple qui, dans la nuit, cherche encore sa lumière ?
Guy L CHAFFA
(Avec sources : Al Jazeera, Associated Press, Africanews, ONU, IPC, SADC, The Guardian)
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